Monday, May 23, 2011

Incipits finissants (53)

Ce n’est qu’un corps qui dérive le long du cours d’eau. Un corps autobalancé d’un pont ou d’une rive. Triste réalité, hélas ordinaire. Lui qui de son vivant n’a jamais voyagé aussi libre d’attaches, le voilà bien parti pour éclater tous ses records. Le courant est avec lui !
Pour faire post-tautologico-Tarkos, c’est un corps qui est fier de son statut de corps. Faut dire qu’il y a vraiment de quoi. Son amie, la rivière, est la seule à se jouer de ce fabuleux article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, toujours appliqué avec zèle, puisque étant relatif au respect de... la sainte propriété privée !
Cela lui permet, au corps, de croiser un cimetière, mais comme il n’a pas envie de se donner à la science des esprits, il repart parmi les flots et alors apparaît un centre commercial. De là, il aperçoit les rangs de caddies du superbe supermarché. C’est là qu’il trimait avant, le corps. Pourvu qu’ils ne le remettent pas, même raide, à la caisse, là où seule importe la validation des transactions.
Mais vite, il faut déguerpir en mettant les bouchers doubles. En aval, c’est rien de moins que l’usine, enfin rien de plus que l’usine à l’arrêt. Un nouveau concept à la française. La friche industrielle pour les artoschtes ! Encore du subventionné tout ça ! Ah ! Quelle beauté, y a pas à dire. Ça l’était tout de même davantage quand ça rapportait des salaires, même nazes, qui permettaient d’avoir sa maison et d’aller tous les week-ends à la pêche. Tiens, voilà une canette… vide ! A cette époque, on se sentait moins seul quand on était ouvrier. Maintenant, c’est plus triste qu’une cathédrale, comme ces vieux classique Larousse qu’on ne lit plus.
Le corps commence à se demander s’il va s’arrêter un jour de dériver. Le problème principal, quand on y regarde de près, en fait, réside dans les vivants.
D’ailleurs, voici à tribord un jardin pour les mômes. C’est déjà plus touchant. Sauf que les enfants vont cafter à leurs parents s’ils le voient et ensuite ils feront des vilains cauchemars puis beaucoup plus tard, ils le rejoindront dans un flux identique.
Ayant réfléchi à la situation, le cadavre vient de changer d’avis : il va se rendre au prochain cimetière à peu près potable croisé sur sa route. C’est encore là qu’il passera le plus inaperçu et pourra infinir en paix.
                                                                                                                                                    P.M.

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