Sunday, May 04, 2014

Incipits finissants (45)

Un jour, c’était fatal, je voulus devenir éditeur. Une fois équipé, ma première préoccupation ne fut nullement de faire découvrir aux autres de nouvelles écritures. Sûr que non ! L’objectif primordial pour moi était de recevoir le moins de manuscrits possible. Parce que, surtout avec le chômage ambiant, des gens qui écrivent bien, il y en a des pelleteuses.
D’abord, je choisis de ne publier que les auteurs de la région. Avouez que c’est trop classique, n’importe quel éditeur opère ainsi. Même comme ça, il y avait encore beaucoup trop d’auteurs. Comment en éliminer davantage ? Je me résolus à snober les plus de trente ans. Ça c’est moins courant. D’habitude, le rôle des éditeurs se limite à publier de vieilles badernes, déjà beaucoup éditées, afin de leur permettre de continuer à sortir 4 bouquins par an ! Bref, comme mon écrémage ne suffisait pas, je refusai d’éditer les poètes de plus de 30 ans et qui mesuraient moins de 2 mètres. Mais là, comme tout capitalo, j’eus de nouveau peur d’être importuné.
N’écoutant que mon audace, j’abattis mes dernières cartes en ne sélectionnant que les morts de moins de 30 ans de la région Lorraine et qui mesuraient plus de 2 mètres de leur vivant (sans talonnettes).
Hélas, j’avais dû pousser le curseur un peu trop loin et je ne reçus aucun manuscrit dans ma boite à lettres. Mes critères, sans doute restrictifs, n’étaient que trop pertinents, du moins faut-il le croire.
Afin de sortir de ce faux pas, j’eus alors l’idée lumineuse de ne retenir que les livres écrits par des gens de ma famille ! En fait, personne n’écrivait dans ma famille. Il n’empêche que, dès l’année suivante, quatre « textes » me parvinrent : 2 albums pour enfants composés par mes nièces et neveux, 1 volume de souvenirs de mon beau-père, un livre de cuisine de ma femme de ménage (petite incartade avec le tout familial). J’étais fier d’être enfin devenu un éditeur comme les autres : qui avait réussi à rester en circuit fermé depuis le début. Je l’ai toujours dit : pour vivre heureux, vivons édités. Ou bien encore, on a toujours besoin d’un plus grand éditeur chez soi.
Las ! Ces proverbes n’ont jamais été autant d‘actualité. Car dix ans plus tard, le chien de ma cousine vient de saisir la justice parce que je n’ai pas voulu lui verser des droits d’auteurs de 30%. Editeur, décidemment, un boulot maudit dans notre civilisation des loisirs qui sait toujours écrire et compter avant de ne jamais lire ! P.M.

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